Le street-art : de la rue au musée – l’exposition Wall Drawings, Icones urbaines légitimé par ses acteurs.

L’art urbain désigne un phénomène mondial né dans les années 1960 recouvrant les pratiques artistiques les plus diverses : calligraphie au marqueur ou à la bombe, aérosol, affiche, pochoir, peinture murale, détournement publicitaire ou signalétique. Aucune unité formelle, intentionnelle, générationnelle, idéologique ou encore territoriale ne caractérise l’art urbain sinon une contrainte : la rue comme espace d’expression. De quelle manière le musée d’art contemporain de Lyon utilise l’exposition Wall Drawings, Icones urbaines à des fins aussi bien de rentabilité que de médiation culturelle ?

I- Le street-art : de la rue au musée – l’exposition Wall Drawings, Icones urbaines légitimé par ses acteurs.

Les contours du « street-art » sont complexes. Compris comme un art militant, engagé et engageant, un réel « activisme » est sous-jacent à cette pratique. D’un autre côté, une forme de coopératisme entre les artistes et le pouvoir en place se développe et rend cette pratique ambivalente. Le street art n’est pas qu’un art rebelle ou révolté. C’est un agglomérat de conduites multiples, à l’intérieur duquel les artistes qualifiés de « puristes » et de « vendus » agissent de manières contradictoires. Derrière le mot street art, la réalité est donc multiple, et c’est ce qui donne à ce terme toute sa force et sa faiblesse. Définir le street-art dans ces conditions nous oblige à ne le faire rentrer dans aucune case et nous garderons la définition de Fabio La Rocca en 20131 qui décrit le street-art comme la mise en récit du paysage urbain auquel il participe qui est à l’image de notre époque, dynamique, hybride et hétérogène. En effet, avant de partir en guerre contre l’institutionnalisation du street-art, n’oublions pas que l’institution n’accueillerait pas en son sein une pratique artistique qui la remettrait trop en question et avec laquelle le consensus serait impossible. Et les artistes n’accepteraient pas de collaborer s’ils n’y trouvaient pas d’intérêts.

A l’origine, le street-art est un art de rue figuratif, autodidacte nourri de la culture de masse en réaction à l’art conceptuel et minimaliste envahissant les galeries. Ainsi, des artistes comme Miss. Tic ou encore Jef Aérosol utilisent les codes du rock, des comics ou encore des photos de presse. Dès les années 1980, une relation schizophrène s’installe entre les pouvoirs publics et le sreet-art. Les notions de « tag » et de « street-art » génèrent des réactions différentes auprès des populations et des pouvoirs publics : les actes de vandalismes sont condamnés tandis qu’une pratique artistique est encouragée dans l’objectif d’enrichissement culturel et esthétique de la ville. (Exemple : Shepard Fairey affichiste et peintre qui a fait l’affiche d’Obama « hope »). Par ce biais, le street-art est progressivement considéré comme un art à part entière que les mairies et les musés tentent de réguler en proposant des espaces d’expression qui définirent. Cependant, ce changement pose la question suivante : est-ce qu’on est libre d’exprimer tous les messages dans un espace réglementé par les pouvoirs publics ? Des cas de censure existent comme ce fut le cas en 2010 lorsque l’artiste italien Blu se voit commander une œuvre par le Museum Of Contemporary Art de L.A. Il présente plusieurs dizaines de rangées de cercueils drapés de billets de dollars : l’œuvre sera retirée après avoir fait du bruit sur internet et les réseaux sociaux. Par ailleurs, il a décidé d’effacer l’ensemble de ses œuvres dans sa ville natale à Bologne pour lutter contre l’institutionnalisation du street-art dans le but que son œuvre ne perde pas son message premier.

En effet, grandement influencé par le marché de l’art et les acteurs publics, le street-art glisse progressivement d’un art éphémère et illégal vers celui de patrimoine artistique. Cette « muséificaton » n’est pas sans conséquence sur les artistes et la pratique artistique. Concernant l’exposition étudiée, le MAC interagit avec plusieurs acteurs et l’exposition est en partenariat avec le Ministère de la culture et de la communication dans le cadre de l’appel à projet national « street-art ». Ainsi, au-delà du MAC, sont en jeu le Ministère de la culture et de la communication ainsi que la DRAC. « Cet appel à projets, lancé en en janvier 2016, visait à mieux repérer les projets de « Street art » ou « art urbain » et à contribuer au soutien de certains d’entre eux, aux côtés des artistes, des collectivités, des associations et des autres structures qui soutiennent la création dans l’espace public. ». Les commissaires de l’exposition sont Julien Malland (Seth) et Hervé Perdriolle. J. Malland/Seth est déjà un acteur du street-art connu car il a publié le libre Globe-Painter suite à un voyage autours du monde en 2003 et il réalise une série de reportages pour Canal+ (« les nouveaux explorateurs »). C’est donc une personnalité déjà connue dans les réseaux artisico-médiatiques ce qui accroît la légitimité de l’exposition dans le MAC de Lyon. Hervé Perdriolle est ancré dans le monde de l’art puisqu’il est collectionneur, galeriste, commissaire d’exposition et critique d’art. On peut penser que ce « duo » est parfaitement dans le consensus institutionnel et la légitimation du street-art par un musé municipal d’une grande ville française ne leur pose aucun problème : ils ne militent pas en ce sens mais font parti du système. Notons par ailleurs que Julien Malland – à l’occasion de son entretien, hors micro – s’est exprimé sur l’accusation par la justice du street-artiste M. Chat en octobre 2016. A ce sujet, il a pris la défense de l’ordre établi et a condamné l’action considérée comme illégale de l’artiste cautionnant sa peine d’amende. Nous pouvons en déduire que l’ambassadeur de l’exposition est du côté des institutions dans sa pratique et qu’il se sent légitime à leurs yeux.

II – Une exposition internationale, témoin du phénomène mondialisé du street-art, vers un tourisme culturel ?

Pour Mehdi Ben Cheikh, galeriste qui a eu l’idée de la tour Paris 13, « c’est le premier mouvement artistique qui concerne la planète », et plus seulement l’Occident. Application google « google art projet » = répertorie les œuvres de street-art dans le monde entier. « Tout le monde peut prendre le train en marche et Internet ne fait que démultiplier cette dynamique, en renvoyant immédiatement l’image d’une œuvre réalisée dans un lieu inconnu ou lointain. » Le street-art est donc un art de tous, un art pour tous, naturellement en phase avec cet âge de l’image et de l’instantané partagé dans lequel nous ont projetés les technologies numériques et Internet, en qui il a trouvé un parfait outil de mémoire et de propagation.

La généalogie du street-art est qu’il est une pratique qui renouvelle l’espace urbain et colore la ville, la transforme. Le pouvoir d’embellissement des villes via le street-art contribue à son esthétisation et donc à la valorisation de ces dernières. Ainsi, le street-art est une des nouvelles cordes du tourisme et présente une possibilité d’offrir de nouvelles proposions pour celles-ci. Nous pouvons même aller plus loin et nous demander si le street-art ne participe pas à une certaine stéréorépétition des paysages. Prises dans une compétitivité internationale, la nécessité pour les grandes villes de se distinguer est devenu un réel enjeu. En effet, la culture est un élément sur laquelle elle s’appuient pour développer une identité singulière et le street-art peut être un atout dans cette conjoncture.

Nous nous sommes rapidement posé la question de la pertinence et de la justification du fil directeur rassemblant les différents artistes du monde entier dans l’exposition du MAC de Lyon. Il nous a semblé que ces artistes étaient principalement un panorama des artistes que J. Malland a aimé pendant son voyage en 2003. Nous nous sommes alors interrogé sur l’absence des street- artistes de lyonnais. La rencontre avec l’association Troi3 nous a éclairé sur ce point : en effet, elle a du contacter le MAC pour que des artistes Lyonnais soient présent au cours de la journée « off » de l’exposition à Croix-Rousse. Cependant, malgré les motivations discutables du choix des artistes par Julien Malland, le fil directeur qui repose sur les marques de la tradition dans les œuvres de street- art est intéressante. En comparant avec nos expériences personnelles à l’étranger (Montréal et Bogota), il est évident que en fonction du pays concerné, les pratiques et la législation change et influe sur la pratique. On retrouve cette idée dans la vidéo avec les artistes de la réunion par exemple.

III- L’art urbain : un marché de l’art populaire et rentable

En revanche la question de la marchandisation du street art semble poser davantage de problèmes dès lors qu’elle contredit totalement la logique initiale du street art qui se veut militant,gratuit et accessible. L’art urbain désigne un phénomène mondial né dans les années 1960 recouvrant les pratiques artistiques les plus diverses : calligraphie au marqueur ou à la bombe, aérosol, affiche, pochoir, peinture murale, détournement publicitaire ou signalétique. Aucune unité formelle, intentionnelle, générationnelle, idéologique ou encore territoriale ne caractérise l’art urbain sinon une contrainte : la rue comme espace d’expression.

Le street-art reflète une culture populaire dont les individus – au gré d’influences diverses – utilisent beaucoup dans leur consommations culturelle au sein des grandes villes de part le caractère marginal qui est un élément à la mode. Une certaine tendance dans les consommations culturelle par le street-art se développe grandement. Nous pouvons même pousser la réflexion pour nous demander si cet art ne serait pas diriger vers un certain marketing urbain?

En nous renseignant sur les chiffres (difficilement trouvables) des comptes du MAC, la place à la location et au mécénat est prépondérante. Le street-art étant très attractif, nous pouvons nous demander si cette exposition n’est pas un prétexte pour attirer des financements privés. De plus, l’énorme communication autours de cette exposition renforce cette idée, ou du moins met en lumière la popularité qu’attire cette pratique artistique. En effet, des relais médiatiques importants sont à notés (les Inrocks, France 3…) ainsi qu’une communication diffuse et très présente dans la ville de Lyon (vidéos TCL, affiches et flyers…) Malheureusement, l’exposition étant encore en cours, nous n’avons pas eu accès aux chiffres de fréquentation et les revenus monétaires générés par Wall Drawings, Icônes urbaines.

IV- Présenter un art accessible : une volonté de médiation culturelle ?

Le Street art est un vecteur de rajeunissement pour les villes. Le Street art attire une clientèle jeune. En effet, symboliquement, la jeunesse est attirée par l’image de contre culture qu’il véhicule. En marge de la société, il se place comme un art en contre sens vis-à-vis d’une société marquée par la mondialisation. La ville de Bristol en est un exemple. Ville natale de Banksy, figure mythique du Street art anglais, elle se sert de sa renommée internationale pour inciter les artistes à venir visiter la ville. Le Street art est mis valeur comme l’attrait principal de la ville au travers de quartiers tels que Stockes Croft et Saint Paul, lieux branchés où les œuvres Street art sont préservées. Désormais, ils sont les lieux principaux de visite pour les touristes et donne à Bristol l’image d’une ville jeune et branchée, influence directe du Street art.

Les événements culturels de street-art sont une distraction, une animation artistique que le public peut vivre directement. Elle provoque aussi une réaction instantanée : parfois provocatrice, porteuse d’un message politique ou simple performance esthétique, le public se laisse aller à une véritable interrogation sur l’œuvre artistique qui se déroule sous yeux. Par ailleurs, contrairement au rock, au cinéma ou à l’art contemporain, qui carburent au star-system, l’art urbain se nourrit d’inconnu, d’esprit de découverte. Peu importe le nom de l’artiste, pourvu qu’on ait l’élan, le geste ! Selon José-Manuel Gonçalvès — patron du Centquatre à Paris et directeur artistique de la prochaine Nuit blanche — le street-art comme forme artistique est « l’une des plus faciles d’accès que je connaisse. Il y a peu d’intermédiaires, quasiment pas d’agents, même pour les stars. C’est un milieu où il est très facile de provoquer des rencontres, de lancer des projets un peu fous ».

Du 19 au 28 septembre, il est offert au public d’assister aux coulisses de l’exposition Wall Drawings, Icônes urbaines, avant son ouverture officielle au MAC le 30 septembre. Il s’agit d’une action de médiation culturelle visant à inclure le spectateur dans la création artistique et ainsi rendre plus accessible les artistes ainsi que la structure muséale. L’accès aux coulisse a pour vocation d’initier le public et décloisonner la structure culturelle du MAC. De plus, notamment par le biais de l’association Troi3, le 25 septembre à la Croix-Rousse 10 graffeurs ont repeint les murs du collège Maurice-Sceve. Cette initiative a permis de partager avec les spectateurs le processus de création tout en allant directement à la rencontre du public ce qui est en accord avec la pratique premiere du street-art (« son milieu naturel »). La présentation de l’événement était décrit de la sorte : « Un dimanche à passer en famille pour admirer des performances, mais aussi chiller sur des transats, choisir entre des huîtres, des barbapapas ou des sandwichs lyonnais, s’accouder au bar ou danser sur les sons de nos meilleurs DJs lyonnais ». Notons la volonté d’interpénétration des arts ainsi que l’envie de rendre l’espace accueillant, convivial. Par ailleurs, la gratuité de l’événement permet d’attirer un public large, qui peut se retrouver dans l’événement par hasard. Cependant, il est critiquable le lieu visé : le plateau de la Croix-Rousse étant déjà un quartier dont les habitants ont un capital culturel et économique élevé. N’aurait-il pas été plus fort et intéressant de mettre en place cette événement dans un quartier moins vivant culturellement ?

Conclusion :

Le street-art est à un moment de compromis entre son sens premier et l’institutionnalisation qui en est faite. Certains artistes refusent de collaborer avec les institutions en places et construisent des modes d’autogestion en créant leurs propres moyens de valoriser leur art. Des initiatives privées (exemple de la rue Denoyer à Belleville) entendent défendre cet art éphémère et réalisent des événements pour permettre aux artistes locaux de s’exprimer.

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