L’ère de la collectivité dans l’art contemporain – Ruangrupa et la documenta15

Du 18 juin au 25 septembre 2022 se déroule la quinzième édition de la documenta à Cassel en Allemagne. Avec environ 800 000 visiteurs tous les cinq ans, le festival est une des plus grandes expositions d’art contemporain dans le monde qui s’étend sur une durée de 100 jours. 

Chaque édition de la documenta est personnalisée par une autre direction artistique, choisie par la commission. Toujours avec une approche internationale et moderne engagée, le festival se renouvelle à chaque édition selon les approches artistiques de la curation.

La documenta a été créée en 1955 par Arnold Bode et Werner Haftmann. Au fil des ans, la direction artistique a été confiée aux différentes personnalités du monde de l’art contemporain, comme Catherine David, ancienne conservatrice au Centre Georges-Pompidou ou bien Okwui Enwezor, directeur artistique de la deuxième biennale de Johannesburg en 1997. Cette édition est particulière, car pour la première fois la commission a choisi un collectif d’art contemporain au lieu d’une personne et une direction provenant de l’Asie. 

​​Ruangrupa est un collectif d’art contemporain né en 2000 à Jakarta, Indonésie. En raison du manque d’un espace ouvert et collaboratif dans la ville, ruangrupa, qui signifie « espace d’art » ou « forme spatiale » s’est créé. Leur “espace physique” fonctionne  comme une espèce de maison-club ouverte tout le temps, où la communauté peut agir de manière libre, travailler individuellement ou en collaboration. Chaque participant est inclus dans le processus de création des activités et devient membre du collectif ruangrupa en sens large. La direction artistique de la documenta15 est composée par neuf membres qui dirigent aussi le collectif: Ajeng Nurul Aini, farid rakun, Iswanto Hartono, Mirwan Andan, Indra Ameng, Daniella Fitria Praptono, Julia Sarisetiati, Reza Afisina et Ade Darmawan comme directeur principal.

Le collectif fonctionne comme une organisation à but non lucratif, soutient l’art contemporain par le biais d’un lieu ouvert au grand public, utilisant cet espace pour promouvoir des idées artistiques, travaillant de manière interdisciplinaire, à la fois dans un contexte urbain et culturel, y compris la technologie, l’art, la politique, les médias, les sciences sociales, etc. L’objectif est d’établir un système de soutien par la communauté, les institutions et les artistes, à travers la collaboration, la création et la pensée critique. Ces échanges s’expriment à travers des projets artistiques et scientifiques, tels que des festivals, des débats, des ateliers, la publication des magazines et des livres, des expositions, des laboratoires d’art, etc. 

Le collectif ruangrupa a choisi “lumbung” comme concept pratique pour la quinzième édition de la Documenta. Lumbung est un mot en indonésien qui signifie littéralement “grange à riz”, il est employé comme un mot valise basé sur le principe de la communauté. Il englobe pour eux des valeurs comme la générosité, l’humour, ancrage local, l’indépendance, la régénération, la transparence et la frugalité et s’exprime entre outre dans la prise de décision collective et dans un espace de rencontre pour toutes les pensées, nommé le “ruruhaus”.

Collectif Ruangrupa

 

Une autre essence du concept est la pratique de l’interdisciplinarité qui dépeint la relation entre une organisation artistique, sa communauté et son environnement local. Ensemble le “ekosistem” est créé : un réseau collaboratif qui fait le lien entre les connaissances, les idées et les ressources. 

Également dans l’esprit de leur concept, les participants créatifs sélectionnés (artistes, collectifs, initiatives, organisations actives) sont regroupés en “majelis”, des groupes de réunions. Au lieu d’indiquer les nationalités des participants, ruangrupa a annoncé la liste des artistes avec leurs fuseaux horaires. 

Cette année l’art contemporain a vécu un changement avec la mise en avant des collectifs plutôt que des prestations individuelles. Comme le prix Turner, l’un des prix le plus important de l’art contemporain où cinq collectifs ont été lauréats et la commission de la Documenta qui a choisi le collectif ruangrupa qui a ensuite choisi à son tour des collectifs pour l’exposition. Les collectifs ont tous été choisis en fonction de leur engagement associatif et de leur capacité de transformation sociale.

Est-ce que c’est donc le début d’une ère de collectivité dans l’art contemporain ? 

Nous avons pensé également aux différences entre l’artiste individuel et l’artiste en collectif. D’un côté travailler en collectif soutient l’idée de la collaboration, l’apprentissage des uns aux autres et par conséquent les échanges interdisciplinaires. D’un autre côté, l’effort de l’individu est moins visible car l’artiste comme personnage est moins mis en avant et doit se subordonner aux valeurs communes. 

Pour travailler en collectivité, une autre contrainte est de trouver un langage commun. Ruangrupa utilise l’anglais ainsi que des mots valise venant de l’indonésienne. Pour s’elóigner des termes connoté politiquement tels que néo-avant-garde, féminisme ou communisme ils utilisent des concepts qui englobent leurs positionnements. 

Par conséquent la compréhension des concepts reste assez complexe, elle détourne l’attention de la construction de l’œuvre à la compréhension du concept. De la même manière, est-ce que l’utilisation d’un langage spécifique rend les échanges plus inclusifs ou exclusifs ? Est-ce que ruangrupa n’empêche pas son propre but de partage collectif des idées et des pensées ? 

Même si la documenta a ouvert son contexte aux collectifs, elle reste fermée au niveau du public avec un concept toujours intellectualisé. Comment sera accueilli le concept auprès du public lors de la documenta15 en 2022. Cependant l’exposition ouvre la place aux artistes émergents de tous les coins du monde et aux collaborations.

Estefanía Henriquez et Theresa Piening

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