Du 16 au 19 septembre 2021 s’est tenue la cinquième édition du Lyon Street Food Festival aux usines Fagor Brandt. Cet évènement, organisé par l’agence Nomad Kitchens, a rassemblé 35 000 participants venus rencontrer plusieurs grands noms de la gastronomie. Les thèmes de cette année furent : Afrique, Bruxelles, la vallée de la Gastronomie et Asia Street Market. Le succès de cet événement a amené des journaux comme Lyon Capital ou Le Monde a en parler. A partir de ces lectures, de la communication de l’agence et de notre propre ressenti, le Lyon Street Food Festival nous questionne sur la récente émergence de la « street-food » ainsi que son impact sur la gastronomie classique. Nous interrogeons également certains choix des organisateurs.
Le développement de la street-food : vers une gastronomie plus accessible ?
La street-food met, depuis quelques années, le monde gastronomique en émoi. Avec ses codes modernes et branchés, elle a su se faire une place de choix dans un domaine très normé : de plus en plus de « grands chefs » se dotent aujourd’hui d’un commerce dédié à la restauration rapide ; des alternatives qualitatives et économiques, idéales pour la pause déjeuner.
Sans critique, on a accordé à la street-food la disparition des arts de la table au profit d’emballages neutres et jetables et l’abandon des menus aux intitulés à rallonges au profit d’énoncés simples et efficaces ; deux codes auxquels la gastronomie était bien attachée.
La disparition des infrastructures et du matériel de salle, d’apparence alléchante pour réduire ses charges fixes, favorise un contact inédit entre cuisinier et client : un rapprochement très apprécié des consommateurs à l’ère où l’échelle de proximité est de plus en plus plébiscitée.
Côté consommateur, on se délecte de la street-food comme d’un spectacle. Les coulisses de la gastronomie se révèlent aux yeux du grand public.
D’une pratique populaire à un huis clos élitiste : une récupération culturelle ?
En analysant la programmation et le traitement médiatique du Lyon Street Food Festival, nous devinons sans difficulté la cible des organisateurs : une population branchée (les différents espaces du festival sont désignés comme le « wine district » ou le « sugar hangar ») plutôt bourgeoise et sans difficultés financières (l’entrée du festival est à neuf euros et chaque portion coûte entre quatre et cinq euros). Le constat est évident : nul n’oserait s’y rendre sans détenir un minimum les codes de cet évènement.
La street-food touche une clientèle soucieuse de ce qu’elle mange, plus au fait et attentionnée par l’aspect, le goût et l’apport nutritionnel que par le simple besoin primaire de se nourrir. Au-delà du visuel, la récupération de la street-food par la haute cuisine encourage le toucher : une nourriture que l’on mange généralement avec les mains, à l’heure où nos activités et nos emplois se font de moins en moins manuels.
Les food-trucks sont un phénomène en eux-mêmes et disent beaucoup de nos comportements face à la street-food. Il existe, en France, très peu de restaurants où la clientèle serait prête à attendre pendant de longs quarts d’heure, debout, dehors et parfois dans le froid, pour dévorer un repas sans service et sans couvert.
Ce processus de récupération culturelle n’intervient pas seulement dans le milieu culinaire. Nous avons récemment assisté à des mouvements semblables au sein de différents arts : le graffiti, le skate ou encore le rap sont de bons exemples. Autrefois réservés à un public averti et minoritaire, ces médiums sont aujourd’hui reconnus par des autorités institutionnelles : le graffiti est encadré dans les musées, le skate a sa place aux Jeux Olympiques et le rap aux Victoires de la Musique.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que le Lyon Street Food Festival s’était doté d’un espace « Street Academy » où étaient proposés divers ateliers liés aux arts de la rue. Ces initiations étaient accompagnées de performances live : graffiti, danse, roller disco et longboard. Un coup de pouce entre disciplines aux destins liés ?
Un partenaire de taille : Deliveroo
Le Lyon Street Food Festival s’est doté d’un partenaire de taille pour sa cinquième édition : la plateforme Deliveroo. En amont de l’événement, l’application a notamment proposé des plats inédits concoctés par un chef italien et disponibles uniquement en livraison. Au cours du festival, il était possible de gagner divers cadeaux ou avantages en participant à des activités animées par la plateforme : une présence assumée pour un entreprise pourtant controversée.
Depuis la crise sanitaire le milieu de la restauration vit aussi une crise sans précédent : beaucoup de professionnels ont quitté le domaine, le jugeant trop ingrat. Certains établissements éprouvent des difficultés à rouvrir leurs portes, par manque de personnel. La présence de Deliveroo sur le marché de la restauration n’avantage pas les petits commerces, tiraillés entre la quasi
nécessité d’être présents sur l’application pour toucher une clientèle plus large et l’envie d’éviter cet intermédiaire coûteux.
Ce service de livraison participe à la mutation du secteur culinaire : la street-food se mange désormais à la maison, apportée par un serveur devenu livreur et dont le statut d’auto-entrepreneur participe à la précarisation des travailleurs. Un statut largement critiqué, au cœur d’un débat opposant Deliveroo à ses coursiers.
Conclusion
Le Lyon Street Food Festival est la réalité d’une controverse plus large. Il répond à l’évolution de la street food actuelle et à l’attente de ses consommateurs d’un nouveau genre. La street food est devenue branchée, élitiste, mais aussi plus saine et élaborée. Elle offre un nouveau champ d’exploration à la gastronomie, qui elle de son côté, plus ouverte et accessible, lui donne une nouvelle définition, quitte à dénaturer la cuisine de rue populaire.
Il est bien nécessaire de s’interroger sur cet événement pour en saisir les enjeux et pouvoir y participer avec un esprit critique, parfois en opposition avec un traitement médiatique partenaire et enthousiaste.
Clara Pontello et Théo Vion
Corpus médiatique et sources :
Teaser LSFF 2021. mis en ligne le 1 juillet 2021. YouTube. Disponible avec le lien : https://www.youtube.com/watch?v=jsg_MHtKS5M
LAMY Guillaume. 16 septembre 2021. “Lyon Street Food Festival, c’est parti !”. Lyon Capitale. (consulté le 4 novembre 2021). Disponible sur : https://www.lyoncapitale.fr/actualite/lyon street-food-festival-c-est-parti
SIMON Adrien. 17 septembre 2021. “Lyon Street Food Festival : on a testé”. Le Petit Bulletin. (consulté le 4 novembre 2021). Disponible sur : https://www.petit-bulletin.fr/lyon/guide urbain-article-69689-Lyon+Street+Food+Festival+++on+a+teste.html
SORGUE, Pierre. 15 septembre 2021. “Lyon, capitale de la street-food”. Le Monde. (consulté le 5 novembre 2021). Disponible sur : https://www.lemonde.fr/le-monde-passe-a table/article/2021/09/15/lyon-capitale-de-la-street-food_6094753_6082232.html
CASSELY Jean-Laurent. publié le 25 juin 2015. “Distinction, appropriation, rébellion, déclassement? Vers une théorie sociologique de la street food”. Slate. (consulté le 30 octobre 2021) Disponible sur: http://www.slate.fr/story/101449/distinction-appropriation rebellion-declassement-theorie-street-food
CHEVALIER François, FELIX Virginie. publié le 15 novembre 2013, modifié le 08 décembre 2020. ““Plus l’espace urbain augmente, plus la cuisine de rue se développe”, Jean-Pierre Corbeau, sociologue”. Télérama. (consulté le 30 octobre 2021) Disponible sur : https://www.telerama.fr/monde/plus-l-espace-urbain-augmente-plus-la-cuisine-de-rue-se developpe-jean-pierre-corbeau-sociologue,105035.php
JULIEN Olivier (réalisateur). 2016. Auguste Escoffier, ou la naissance de la gastronomie moderne [reportage]. (visionné le 2 novembre 2021). Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=CWGo_xi8N1U
QUEFFELEC Derwell. 27 janvier 2021. “A l’origine de la street food : un fast-food à Pompéi”. France Culture. (consulté le 2 novembre 2021). Disponible sur : https://www.franceculture.fr/histoire/de-pompei-a-aujourdhui-lhistoire-de-la-street-food
MALISSEN Guilhem. Septembre 2020. “Bouffons #104 – Cuisine française : la meilleure du monde, vraiment ?” [podcast]. Nouvelles Écoutes. (écouté le 7 novembre 2021). Disponible sur : https://soundcloud.com/nouvelles-ecoutes/bouffons-104-cuisine-francaise-la meilleure-du-monde-vraiment
SAKJI Mehdi. “Deliveroo Editions : la marchandisation de la cuisine toujours en marche”. Chaire UNESCO Alimentations du monde. (consulté le 30 octobre 2021) Disponible sur : https://www.chaireunesco-adm.com/Deliveroo-Editions-la-marchandisation-de-la-cuisine toujours-en-marche-Mehdi
WOLF Johanne. 23 août 2016. “Les chefs se prennent à mitonner de la “street-food””. Le Monde. (consulté le 5 novembre 2021). Disponible sur : https://www.lemonde.fr/m gastronomie/article/2016/08/23/les-chefs-se-prennent-a-mitonner-de-la-street food_4986974_4497540.html