La question de la restitution du patrimoine d’Afrique Subsaharienne en France

Deux ans après le discours d’Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou dans lequel il déclare : “ Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique” et un ans après la parution du rapport Savoye-Sarr “Restituer le patrimoine africain”, le premier ministre Edouard Philippe prolongeait de 5 ans le “prêt” du sabre présumé du conquérant Toucouleur El Hadj Oumar Tall ce 17 novembre 2019 au président sénégalais Macky Sall. Aujourd’hui, en France, l’inventaire de toutes les œuvres d’art dans les collections nationales donnent des chiffres assez précis sur la provenance des œuvres : 88 000 pièces viennent d’Afrique subsaharienne, dont 70 000 au musées du quai Branly, la plupart provenant des pays anciennement colonisés par la France.

Si on dénombre moins d’un millier d’objets avant 1885, on en compte 45 000 à la fin de la période coloniale. Puis, ce sont plus de 20 000 objets qui sont rentré dans les collections françaises après la décolonisation. Aujourd’hui, 85 à 90% du patrimoine africain serait hors du continent, principalement dans les musées européens.

Si aujourd’hui il est si difficile pour la France de restituer ces objets aux pays qui les demandent, ce n’est pas seulement due à certaines réticences, c’est également due à un problème juridique : le principe d’inaliénabilité des oeuvres d’art en vigueur depuis plusieurs siècles en France : l’état ne peux pas juridiquement céder ou vendre un bien, car il n’est pas propriétaire de ce bien mais juste le gardien. En 2002, on réaffirme ce principe : “Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables.” La seule possibilité de céder une oeuvre est de procéder au déclassement du bien, subordonné à l’avis de la Commission scientifique nationale des musées de France qui n’a pas eu jusqu’ici à connaître de projet de déclassement.

French President Jacques Chirac looks at a Mexican Chupicuano sculpture (7th-2nd century BC), 13 April 2000, during the inauguration of a new wing of the Louvre housing the museum’s first ever collection of primitive art objects from the world’s oldest civilizations.

C’est 63 ans après la Convention de la Haye – qui rend le pillage lors de campagnes militaire illicite – qu’une convention sera mise en place à l’UNESCO en 1970 pour empêcher l’import et l’exportation de propriétés illicites de biens culturels à compter de sa ratification.

En France, l’évolution des mentalités et des démarches légales tarde à se rendre visible : en 1993, un manuscrit Uigwe est rendu à la Corée du Sud sous forme de prêt renouvelable malgré les réticences de la BNF. En 2000, le Nigeria réclame des sculpture Nok acquises illicitement. Restituées, elles sont toujours conservées en France sous prétexte des mauvaises conditions de conservations nigérianes. En 2002 est rendu le moulage et squelette de Saartje Baartman (Vénus Hottentote) réclamée en 1994 par l’Afrique du Sud puis en 2011, 21 têtes momifiées Maori sont rendues suite à 4 ans de démarches légales menées par le Muséum d’Histoire Naturelle de Rouen, suite aux nombreuses demandes du musée national néo-zélandais Te Papa Tongarewa.

C’est le rapport Savoye-Sarr en novembre 2018 qui préconise la modification du code du patrimoine lié au principe d’inaliénabilité. Commandé par E. Macron, il détaille d’un point de vue historique les conditions d’acquisition du patrimoine africain détenu par la France et propose des solutions juridiques, financières et de médiation pour leur restitution en distinguant les conditions et périodes d’acquisition. Les auteurs y mentionnent les intérêts diplomatiques de “solder à moindre frais un lourd passé colonial” ou “instituer une nouvelle éthique relationnelle”. Ils explorent également le sens du principe de restitution non comme une réparation mais un symbolique nécessaire qui passe par une restitution permanente et non temporaire. Ils souhaitent aussi “mettre le doigt au coeur d’un système d’appropriation et d’aliénation, le système colonial, dont certains musées européens, à leurs corps défendant, sont aujourd’hui les archives publiques”, un système ayant engendré une aliénation et une déculturation intentionnelle dans les pays touchés qui rend le travail de mémoire difficile soit par ignorance, soit par souffrance. A travers ce rapport, ils démystifient le point de vue occidental de la conservation qui nie la nature et la place de ces objets dans les cultures spoilées au profit d’une conception patriarcale, une représentation contrôlée des sociétés.

(FILES) This file photo shows French art historian and professor at the College de France in Paris and the Technishe Universitat of Berlin Benedicte Savoy (R) and Senegalese economist and professor at the Gaston Berger University of Saint-Louis in Senegal Felwine Sarr (L) posing on March 21, 2018, in Paris. – The two French and Senegalese academics, Benedicte Savoy and Felwine Sarr, appointed by President Emmanuel Macron, will advise him on November 23, 2018 to allow the return of thousands of African artworks held in French museums, a radical shift in policy which could put pressure on other former colonial powers. (Photo by ALAIN JOCARD / AFP)

Si cette démarche est enclenchée, elle fait tout de même polémique. Certain préconise une circulation des oeuvres plus qu’une restitution, qui se heurte aux inégalités des collections entre les pays ; d’autres déplorent les conditions de conservation pas encore réunies dans les pays d’origines ou s’alarment sur une perte d’accès aux œuvres. Le rapport trouve ses limites dans le fait qu’il ne parle que de l’Afrique subsaharienne, sur la base de quelques pays étudiés. Il est possible que le rapport se soit fait vite et que les auteurs n’aient voulu se prononcer que sur les oeuvres qui leur paraissaient les plus urgentes à rendre. Mais surtout, la loi n’a pas avancé et les programme de préconisations du rapport Savoy Sarr est largement en retard.

Lors de la demande officielle de restitution de 26 objets par le Bénin en 2016, le Ministère de la Culture français refuse au motif de l’inaliénabilité et de la crainte d’une jurisprudence sans fin : si on rend au Bénin, pourquoi ne pas rendre des œuvres italiennes ? Si pour l’instant très peu de pays ont demandé des œuvres – à part le Sénégal qui demande 10 000 objets et la Côte d’Ivoire 1000 – des pays africains se préparent quand même à accueillir des objets, alors que d’autres n’ont pas mis la question aux centre de leurs priorités.

La question n’est donc plus de savoir si ces restitutions vont se faire ou pas : le processus est lancé, au moins dans les médias et dans les agendas politiques. On parle d’ailleurs aujourd’hui plus du “comment” que du” pourquoi”. Mais est-ce juste de rendre ces objets à des états ? Peut-on repenser la circulation de ces formes hors d’une histoire de propriété nationale de pays aux frontières récentes qui ne correspondent pas aux territoires transfrontaliers qui étaient ceux des communautés dont sont issues ces formes ?

Baptiste Colin et Tiphaine Charrondière-Cornil

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