Comment Atlantique a réussi le pari d’être un film militant à travers la narration d’une histoire d’amour ? 

Mati Diop

Mati Diop est une réalisatrice, scénariste et comédienne franco-sénégalaise, née en 1982. Elle a grandi à Paris. Elle est la fille du célèbre musicien sénégalais Wasis Diop, d’une directrice artistique française, et nièce du réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambèty, aussi appelé le « Godard dakarois ». Elle réalise des courts métrages depuis 2004 et collabore à des projets vidéo et sonore pour le théâtre.

 

Love

Atlantique c’est l’histoire d’amour secrète d’Ada et de Souleiman dans un Dakar contemporain.

L’histoire d’une jeune femme promise au mariage avec un jeune homme riche qu’elle n’aime pas et celle de son amoureux pauvre, Souleiman, ouvrier sur les chantiers qui attend son salaire depuis 3 mois. Ce fait va être déterminant dans l’histoire car Atlantique va devenir le récit d’une romance brisée par l’appel de la mer. En effet, ce jeune ouvrier et son groupe d’amis vont périr en mer en tentant d’atteindre l’Europe. Ils vont ensuite revenir fièrement, sous la forme d’esprit, en possèdent les corps de leurs bien-aimés, pour demander justice et obtenir leur salaire.

Représentations des corps et des couples noirs à l’écran

Il est important de souligner qu’Atlantique, coproduction franco-belgo-sénégalaise, est la représentation d’une histoire d’amour entre deux personnages noirs loin des clichés, encore exposés par les productions françaises. Il faut savoir que dans ces dernières, les corps noirs sont hypersexualisés et/ou stigmatisés. Les personnages sont soit des voyous, « bouffons de service », nounous, femme de ménage, ou des prostituées.

Lorsque les films français ne véhiculent pas ces images stigmatisantes, les personnes issues des minorités ne sont autorisées que par le biais du métissage. Cela pose la question de la mixité constante pour accepter les minorités à l’écran.  

Militantisme

Mati Diop : « J’ai besoin que cette dimension politique fasse écho à une dimension personnelle. J’ai besoin de raconter la collision de l’intime et du politique dans mes films ”

Ce film est politique parce que c’est le récit d’un fléau africain dû aux répercussions d’une histoire coloniale. La réalisatrice a réussi à montrer cela d’une manière bouleversante mais non larmoyante et victimaire. C’est l’histoire d’une jeunesse désœuvrée, abandonnée par les politiques qui pensent que la vie sera moins éprouvante de l’autre côté de l’océan Atlantique.

     La femme

Diop donne la parole aux hommes par les biais des femmes. Elle montre surtout l’attente de celles-ci qui sacrifient, elles aussi, leurs vies par amour pour leur homme. Les femmes ont un rôle déterminant dans le film. « C’est la voix des hommes portée par la détermination des femmes ». Le lien amoureux va donc devenir le fil conducteur de ce film. Le corps féminin et la femme par extension vont être le médium d’une lutte sociale.

Langue Wolof

Le film prend un référentiel local, ouest-africain. C’est une production fait par des Sénégalais pour un public sénégalais, dans les rues de Dakar. Diop a donc choisi de faire communiquer ces personnages en langue wolof, la langue officielle du pays.

Ressources audiovisuelles locales

C’est un film qui utilise un rythme visuel doux, le montage est développé afin de nous aider à nous connecter avec les émotions d’Ada : il n’y a pas des plans superficiels, les scènes sont plutôt symboliques. Il y a des scènes importantes où les mouvements de la caméra restent contemplatifs, montrant Ada et son parcours. Cela incarne parfaitement son processus émotionnel. Mais aussi le montage rend un parfait hommage à la ville de Dakar. Il nous amène dans un voyage nonchalant, où l’on prend notre temps comme il est habituel là-bas.

Il y a aussi plusieurs plans plus intimes qui nous font entrer dans l’histoire d’une façon plus vivante et sensorielle. Le traitement de la couleur, quant à lui, reste opaque, semblable à la ville qui est sablonneuse, mais aussi il peut symboliser la mélancolie qui imprègne l’histoire et le monde des morts, généralement représenté d’une manière un peu trouble.

La musique originale du film est composée par l’artiste plasticienne et compositrice Koweïtienne (Dakaroise de naissance) Fatima Al Qadiri. Le son est électronique et se mélange parfaitement avec des notes de musique contemporaine et traditionnelle, comme Diop le souligne : « c’est le son de sa génération ».

Réussite

On considère qu’Atlantique a réussi le pari d’être une œuvre d’art militante. Le film reste authentique artistiquement en développant un langage visuel poétique et un style narratif hors norme.

Atlantique ne reste pas dans un discours militant explicite mais il parle de la complexité de la vie réelle, en abordant l’histoire d’amour d’Ada et de Souleiman. À travers ce film, Mati Diop aborde plein de points tabous de la société sénégalaise : comme la problématique du sort des migrants africains en Europe, le mariage forcé, la sacralisation de la virginité chez la femme et la précarité.

Enfin, le film s’est vue légitimé par le Festival de Cannes, en recevant le Prix du Jury du Festival.

Nous sommes face à une œuvre d’art poétiquement militante, comme la poétesse péruvienne Rosina Valcárcel le dit : « On n’est pas moins militante parce que l’on écrit des poèmes d’amour ».  « Yo no soy menos militante por escribir poemas de amor ».

MilenaCarranza et Hawa Derdessy

Bibliographie

Presses étrangères (consultées en novembre 2019)

Mumbai: Mati Diop on Becoming the First Black Female Director in Competition at Cannes

https://www.hollywoodreporter.com/news/mati-diop-being-first-black-female-director-cannes-lineup-1208189

AVEC « ATLANTIQUE », RÊVE DE CINÉMA DEVENU RÉALITÉ POUR AMADOU MBOW

http://www.faapa.info/en/2019/05/28/avec-atlantique-reve-de-cinema-devenu-realite-pour-amadou-mbow/

Senegalese Filmmaker Mati Diop Tells a Haunted Story of Migration

https://www.okayafrica.com/senegalese-filmmaker-mati-diop-at-tiff/?fbclid=IwAR3bOfgcCxS-A91dzaZuvX5T_totLQNiq6s-NTTW4PRRlT41OEjSji51HC4

Presses françaises (consultées en novembre 2019)

Mati Diop filme l’exil dans son long-métrage “Atlantique”

https://www.lesinrocks.com/2019/08/26/cinema/actualite-cinema/mati-diop-filme-lexil-dans-son-long-metrage-atlantique/

À LA SOURCE D’«ATLANTIQUE»

https://www.liberation.fr/apps/2019/09/mati-diop-dakar/

«ATLANTIQUE», L’ÉCUME DES JOUGS

https://next.liberation.fr/cinema/2019/10/01/atlantique-l-ecume-des-jougs_1754801

Atlantique de Mati Diop – la critique

https://www.parismatch.com/Culture/Cinema/Atlantique-de-Mati-Diop-la-critique-Festival-de-Cannes-1624689

FATIMA AL QADIRI, REMOUS ÉLECTRONIQUES

https://next.liberation.fr/cinema/2019/10/01/fatima-al-qadiri-remous-electroniques_1754802

« Atlantique » : le regard saisissant des femmes qui restent

https://www.nofi.media/2019/10/atlantique-le-regard-saisissant-des-femmes-qui-restent/68406?fbclid=IwAR0bgk_27p0DJYuhT_hWP5JcJkAxcDoPygUq_xlc3YZVs5_0ts6E7ZxQthg

«Atlantique», une épopée sorcière

http://www.slate.fr/story/182256/cinema-atlantique-mati-diop-critique-epopee-sorciere

Biographie de Mati Diop

http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-211076/biographie/

Émissions de radio

La traversée de Mati Diop

France Inter émission BOOMERANG du 30/09/2019 par Augustin Trapenard

#51 Dans le genre de Mati Diop

Radio Nova, émission DANS LE GENRE du 6/09/2019 par Géraldine Sarratia

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