Artiste polémique & représentations médiatiques – Le cas de l’annulation des concerts de Médine au Bataclan.

Médine, de son vrai nom Médine Zaouiche, est un rappeur Havrais de 35 ans, connu pour ses textes engagés sur des problèmes de société, et son positionnement particulier de “rappeur musulman”. Doté d’une plume acerbe, son style est très particulier : il cherche à interpeller l’auditeur en le provoquant, pour amener une réflexion et un débat. Médine aime ainsi se jouer des stéréotypes, manipulant volontier tous les clichés du musulman pour les dénoncer.
L’artiste a été programmé au Bataclan les 19 et 20 octobre 2018, salle tristement célèbre pour avoir été la cible d’attentats terroristes perpétrés par le groupe terroriste Daech le 13 novembre 2015, au nom d’une hégémonie radicale de l’Islam.

Cette programmation a suscité une vive réaction dans la société française. Cette polémique est née sur Twitter, à la suite d’une vidéo d’un militant d’extrême droite, dénonçant la programmation de Médine comme une “atteinte à la dignité des victimes”. La “facho-sphère” s’accapare rapidement du sujet, sur Twitter comme sur des médias activistes d’extrême droite. La droite plus institutionnelle s’empare à son tour de cette question, de nombreuses personnalités politiques appelant à interdire la programmation. Le 21 septembre dernier, Médine et le Bataclan décident conjointement d’annuler ces deux dates, “dans une volonté d’apaisement”.

I) Le choix d’un sujet polémique : la polémique autour de l’annulation du concert de Médine au Bataclan.

Ce n’est pas la première fois que ce genre de situation se produit, l’exégèse des textes de rappeur par des politiques étant monnaie courante depuis les années 90. Le sujet ayant provoqué une grande réaction sur les réseaux sociaux, suivie dans la foulée d’une reprise politico-médiatique, il y a eu beaucoup de réactions. De plus, ce sujet soulève de nombreuses questions qui interrogent nos secteurs professionnels.

II) Une méthodologie orientée sur la recherche des différences de représentation présentes au sein de plusieurs organes de Presse.

Nous avons constitué un corpus de 6 journaux, papier ou web. On y retrouve trois des plus grands quotidiens nationaux : Le Monde (orienté politiquement centre droit), Libération (plutôt centrée gauche) et Le Figaro (dirigé à droite). Nous avons également voulu étudier la réaction de journaux spécialisée dans la culture : Télérama (plutôt orienté sur l’audiovisuel), Booska-p (webzine spécialisée cultures urbaines) et Les Inrocks (magazine généraliste culturel). Nous voulions ainsi voir la réaction de la presse généraliste en fonction de leurs orientations politiques. Nous nous sommes également demandés si la presse spécialisée avait la même façon de traiter les choses.

La polémique étant née le 9 juin sur les réseaux sociaux, nous avons déterminé une durée d’étude allant du 11 juin 2018, date du pic de réaction de la presse généraliste au 23 septembre, à savoir 3 jours après l’annonce par le rappeur du choix d’annuler ses concerts.

Nous avons comparé 3 à 4 articles de chacun des quotidiens nationaux, ainsi qu’un article de Télérama, un article des Inrocks et un article de Booska-p.fr . Après une lecture approfondie du corpus, nous avons choisi de comparer les articles par journaux, afin de dégager une tendance quant aux représentations du rappeur et voir si cette représentation évoluait selon les organes de presse.

III) D’une représentation factuelle à une représentation engagée.

Le Monde
Médine Zaouiche est représenté comme un artiste polémique, s’opposant à l’extrême droite. On ne cite que ses propos conflictuels, et des articles dans lequel il se “justifie”. Le côté artistique est sous-jacent à cette conflictualité, on place l’artiste en individu politique, réagissant à des attaques de ses adversaires. On peut penser que ce traitement est lié à ligne éditoriale du journal, qui traite plus de l’actualité “chaude” que de question artistique. La démarche artistique du rappeur donne ainsi au lecteur des éléments de compréhension de l’actualité.

Libération
Le rappeur est présenté comme un artiste complet, les journalistes vont chercher à donner au lecteur une vision exhaustive de son oeuvre, avec une explication de ses textes ou ses différentes interventions expliquant son travail. L’un des article allant même jusqu’à placer Médine en homme de lettre érudit. Une opposition se construit ainsi, entre d’un côté des attaques “polémistes” émanant de groupe virtuels d’extrême droite, et de l’autre un rappeur qui a une approche singulière de son art. Même si aucun parti n’est pris frontalement pour l’artiste, l’image de Médine est ainsi méliorative, par rapport au procès qui lui est fait publiquement.

Le Figaro
Le journal prend clairement parti contre le rappeur. D’une part en offrant une tribune à charge à ses détracteurs, et d’autre part en utilisant des éléments de langages allant dans leur sens. Ainsi, les journalistes utilisent des vers isolés de ces chansons sans les replacer dans leur contexte artistique. On peut également signifier que des accointances avec des . personnalités polémiques mals vues de l’opinion publique comme Tariq Ramadan ou Dieudonné La représentation transmises est ainsi celle d’un rappeur polémique, qui fait offense à la mémoire des victimes en se produisant sur la scène du Bataclan.

Booska-p
Le rappeur n’est pas du tout présenté dans cet article, on peut supposer que c’est parce que de nombreuses interviews de Médine ont déjà été proposées sur le site. En revanche, l’article est constitué à peu près à moitié de citations de Médine, un peu comme si le journaliste lui offrait une tribune où il peut s’exprimer que ce soit sur la polémique en general ou le choix d’annulation des dates au Bataclan. L’article le place donc en “victime” d’une stratégie de diffamation.

Les inrocks
L’article est largement consacré à la polémique. On présente le point de vue des différents partis en présence, avec une attention toute particulière pour les associations des familles de victime. Médine est ainsi placé en acteur de la polémique. Le journaliste s’attache à développer le propos artistique de Médine, en utilisant ces propos pour expliquer pourquoi l’artiste traite de ces sujets tendancieux que sont l’islam ou la laïcité. C’est donc au lecteur de soutenir l’un ou l’autre des acteurs, avec l’ensemble des arguments présentés. L’artiste est donc supplanté par son implication dans la polémique.

Télérama
Le journaliste consacre un tiers de son article à recontextualiser la place de Médine au sein de son champ artistique. Il qualifie ainsi la posture singulière du rappeur de celle “du rappeur musulman qui combat l’islamophobie”. Le journaliste s’attarde également à expliquer les propos qui ont voulu au rappeur d’être attaqué, réduisant ainsi la polémique à un tweet de Laurent Wauquiez. Il s’essaie ainsi à une critique du style de Médine, le caractérisant “de saillies « politiques » plus ou moins maîtrisées, de fantasmagorie…”. Il apporte enfin un jugement sur le caractère légal de ces paroles et en appelle à une fin de la polémique Le journaliste critique donc assez vivement le style provocateur de Médine qu’il ne juge pas à son goût, mais condamne d’autant plus la polémique.

Enfin, on peut donc dire que les représentations du rappeur soulevées dans la presse varient d’un titre à l’autre. Les uns le voyant artiste victime d’une campagne de diffamation de l’extrême droite, les autres en provocateur embourbé dans une polémique stérile, ou plus rarement en trublion proche des milieux islamistes. A noter que nous avons été surpris du traitement réservé à cet artiste dans la presse spécialisée, nous pensions en effet qu’elle s’attarderait à défendre ardemment une liberté d’expression artistique ou de programmation. En témoigne l’article des Inrocks qui reprend globalement la même trame que celle du Monde.

Romain Chalendar,  Stanislas Malo.

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