Le Mausa Vauban.

Le 8 juillet dernier, Stanislas Belhomme inaugurait son deuxième MAUSA – Musée des ArtsUrbains et du Street Art – dans la commune de Neuf-Brisach, en Alsace.

L’analyse de cet événement nous a permis de soulever des questions plus globales notammentsur l’institutionnalisation d’un art comme celui-ci, mais aussi – et surtout – de prêter plus particulièrement attention au discours médiatique circulant autour d’une telle initiative afin de mettre en lumière le contraste entre « intentions » publiques et réalité.

Pour ce faire, nous avons tout d’abord analysé les principaux articles de presse (spécialisée ou non) mentionnant l’ouverture du MAUSA Vauban sur internet, que nous avons enrichis par l’analyse des moyens de communication du musée (site internet, page Facebook et compte Instagram). Enfin, un entretien téléphonique avec Clémentine Lemaître, bras droit de M. Belhomme depuis la genèse du projet et actuelle directrice du lieu, nous a permis de compléter notre étude. Cette note de synthèse présente brièvement le musée en faisant apparaître les réflexions qui ont émergé tout au long de l’analyse de
cette inauguration.

Le MAUSA Vauban, Musée des Arts Urbains et du Street Art, est le deuxième à ouvrir en France. Le premier se trouve à Toulouse-Le-Château dans le Jura. L’idée vient de Stanislas Belhomme, grand collectionneur et ancien agent d’artistes, et de sa volonté de partager sa passion au public. Il monte alors l’association MAUSA Les Forges et fait don de sa collection composée de pièces maîtresses (Banksy, JoOne, Speedy Graphito…) qui deviendra la collection permanente du MAUSA Les Forges, complétée par des dons de particuliers et de galeries.

Le deuxième MAUSA naît avant tout d’un besoin logistique : le Jura et le lieu des Forges de Baudin ne sont pas adéquats à la conservation des oeuvres et au maintien des visites pendant la saison hivernale. La recherche d’un nouveau lieu en soutien au premier musée devient alors nécessaire pour héberger les oeuvres pendant l’hiver. La rencontre avec un collectionneur d’art de Colmar amène Mme Lemaître et M. Belhomme dans la région d’Alsace où ils tombent sur la citadelle Vauban, lieu mémorable et riche en histoire. Le deuxième MAUSA y trouve donc ses quartiers.

Le MAUSA Vauban se différencie du premier, et de la plupart des musées, en ce point non négligeable : il ne présente pas une collection de toiles ou d’objets. En effet, les street artistes sont invités à intervenir directement sur les murs de la citadelle, créant une exposition in situ, figée dans le temps. Le public a pu, dès les premiers jours de résidences, assister au travail en cours, appelé aussi « master class ». Aujourd’hui, on peut y voir le portrait de Vauban réalisé par le pochoiriste C215, les fresques de Seth le globe-painter, les grands corps blancs de Jérôme Mesnager, les installations immersives de Denis Meyers et Levalet, le Lascaux du graffeur de métro Nasty, la Marilyn Monroe de Pure Evil, les photographies XXL de Joseph Ford et la chapelle de Guy Denning…

Guy Denning, ‘everything burns the heart’, MAUSA Vauban, Neuf-Brisach

À l’ouverture, le MAUSA Vauban fait donc le buzz. Les journaux parlent du « musée européen de l’art urbain » (Artistik rezo) ; du « plus grand musée de France, avec 2,4 kilomètres de galeries » (France 3 Grand Ouest) ; d’une « citadelle classée à l’UNESCO » devenant « LE musée du street art de France » (Coze). Cependant, la directrice nous avoue que le musée ne fera au total que 1 200m2, que ce sont les remparts extérieurs de la citadelle qui sont classés au patrimoine de l’UNESCO, et qu’en aucun cas les artistes ne pourront intervenir sur les parties classées du site. On semble donc bien loin du site classé transformé en musée, du plus grand musée ou même du premier musée de street art français. De nombreuses initiatives ont exposé ou exposent encore du street art en France et ailleurs : c’est le cas, par exemple, de la Tour Paris 13 qui avait réussi à regrouper 150 artistes internationaux, dans un même lieu, ou encore du Château de Buzine près de Marseille qui fait se rencontrer deux mondes aux esthétiques à priori opposées lors de ses expositions sur le street art, ou encore l’Urban Muséum de Berlin ouvert depuis 2013…

Ces gros titres affichés par la presse (mais aussi par le site, qui reste parfois très vague) semblent donc n’avoir pour but que d’attirer du public, de faire remarquer le musée au détriment d’une véritable information. Ils ne remettent pas du tout en cause l’initiative ou les modalités du projet, mais en font simplement la promotion. Cela semble être le point de départ des différences et altérités entre discours et réalité.

Dans plusieurs interviews, Clémentine Lemaître et Stanislas Belhomme signalent vouloir investir des lieux chargés d’histoire pour réveiller « un patrimoine endormi », dans des zones « en détresse, en souffrance culturelle ». Ces propos, connotés assez négativement nous ont paru forts. D’autant plus qu’il s’avère en réalité que le lieu se prêtait parfaitement à la conservation des oeuvres : ayant servi d’hôpital, le lieu est complètement aseptisé, et les circonstances ont emmené les porteurs du projet à le découvrir.

En s’appuyant sur les dires de Mme Lemaître et sur les différents sites étudiés, on note que ce concept de « work in progress » caractérise effectivement ce musée. La directrice y tient d’ailleurs tout particulièrement, parlant d’une nouvelle muséologie, en directe. Elle affirme effectivement que le MAUSA Vauban est en perpétuelle construction et insiste sur le fait qu’il n’y a aucune programmation prédéfinie et que l’évolution du musée se fait spontanément – le but étant de permettre au public de faire l’expérience « en live », d’assister directement au processus de création des artistes de rue. Ces performances – ou « solo show » – font donc l’identité même du musée. Pourtant, la totalité de la surface sera bientôt entièrement recouverte et il n’y aura donc plus de place pour que de nouveaux artistes interviennent. Il s’avère qu’à l’avenir, le MAUSA Vauban ne présentera donc qu’une exposition permanente : celle des oeuvres commandées pour son ouverture et ses premiers mois d’existence. Clémentine Lemaître nous dit vouloir pousser les murs, aller en dehors du musée, dans la rue, pour présenter cet art, s’inscrivant alors tout à fait dans le processus de politique de la ville « hors les murs ». Cela semble pourtant ironique de vouloir faire retourner le street art dans la rue, comme si c’était une initiative nouvelle et originale.

Revenons d’ailleurs à l’appellation « musée » que s’attribue le MAUSA, et bien d’autres. Juridiquement, le MAUSA est une association privée reconnue d’intérêt général. Elle ne reçoit aucune aide ni subvention de l’État et n’a pas le label « Musée de France ». De plus, un musée, selon la définition du Petit Robert, est « un établissement ouvert au public où sont conservés, répertoriés, classés des objets, des collections d’intérêt artistique, scientifique ou technique ». À l’évidence, au MAUSA les oeuvres sont exposées sans classification ni documentation, comme si elles se suffisaient à
elles-mêmes. En France, l’appellation « musée » n’est effectivement pas contrôlée et le MAUSA n’est pas le seul établissement profitant des connotations du terme. Par exemple, la demeure du chaos s’identifie comme « musée d’art contemporain » ou encore Art 42 qui se dit être « le premier musée gratuit et permanent de street art ».

S’établir comme étant une institution muséale est en effet un moyen efficace de légitimer et crédibiliser la structure. Cela représente également un fort avantage touristique mais traduit, en quelque sorte, un esprit élitiste, une volonté de s’assimiler aux plus grandes institutions de la culture. Ce souci de légitimation questionne toute l’ambivalence de l’institutionnalisation d’un art de rue. Les artistes contactés pour intervenir dans le musée sont d’ors et déjà tous de renommée internationale et ont déjà tous exposé dans des lieux publiques. Ce choix est défendu par la volonté d’asseoir le mouvement et le diffuser au plus grand nombre. N’est-ce pourtant pas une façon de le dénaturer également ?

Bien que Mme Lemaître nous assure qu’être street artiste c’est « un ADN, pas une posture » et que les artistes réfléchissent et s’approprient le lieu « éton-namment rapidement, comme dans la rue », on peut se demander si tout le monde est en accord avec l’institutionnalisation et la pérennisation d’un art à priori proscrit et éphémère. Les artistes exposés au MAUSA Vauban semblent satisfaits, y trouvant une nouvelle manière de toucher le public, de s’approprier un lieu et de raconter une histoire. Jérôme Mesnager affirme à France 3 que le graffiti, après tout, c’est « une histoire de mur » peu importe qu’il se trouve dans la rue ou dans un musée. Pourtant, la controverse reste actuelle et vive. Plusieurs artistes affirment au contraire que la posture est tout à fait différente : dans un musée, il n’y a pas de passant, de police, de bruit, l’éclairage est bon… JoOne affirmait déjà en 2004 qu’il fallait « s’adapter à un nouveau monde » (in Writters, documentaire de M.A. Vecchione). Blu, quant à lui, a refusé d’intervenir au MAUSA. C’est ce même artiste italien qui avait recouvert 20 ans de son travail sur les murs de Bologne alors qu’une exposition dédiée au street art y était organisée.

Clémentine Lemaître défend l’institutionnalisation des arts urbains par les possibilités de médiation qu’elle peut permettre. Au MAUSA, une visite guidée gratuite est organisée tous les jours d’ouverture à 17h. Cette visite est commentée par Clémentine Lemaître elle-même, ou Stanislas Belhomme. De plus, les spectateurs peuvent avoir la chance d’assister au work in progress des artistes. Encore une fois, par l’appellation « master class » de ces performances, le musée veut affirmer sa volonté de médiation. Néanmoins, est-ce que tous les artistes ont envie ou sont capables de parler de leur art ? Est-ce que ces master class et visites guidées suffisent (puisqu’aucune autre documentation, cartel, ou explication n’existe) ? Enfin, des initiatives comme les « Graffiti City Tour » en pleine expansion ces dernières années, invitent à découvrir les graffitis majeurs d’un quartier, leurs contextes historiques et politiques. C’est, à notre sens, un autre moyen efficace de médiation autour d’un art né dans la rue.

Source : Mausa.fr

Entrer au MAUSA vaut 10 euros pour un adulte – alors que les artistes en résidences ne touchent pas de cachet – une démarche que l’on peut discuter, mais que la directrice du MAUSA Vauban défend en soulignant l’absence de subventions, restreignant ainsi la marge de manoeuvre sur le prix du bille d’entrée. C’est d’après elle la seule façon d’asseoir ce mouvement artistique, de diffuser le street art au plus grand nombre, de créer des véritables lieux de vie.

Finalement, le musée semble vouloir atteindre le plus grand nombre. Pourtant, dans les faits, il semble plutôt s’adresser à un public averti voir expert. Bien que les modalités du projet sont discutables sur plusieurs points, les intentions restent louables. Tout n’est pas si noir et le projet de plusieurs MAUSA nous semble pour l’instant ambitieux mais le MAUSA regroupe effectivement des artistes majeurs du street art de ces dernières années et Clémentine fait valoir la dimension sociale d’un lieu de vie comme celui-ci : « la culture est un bon médium, elle fait passer bien plus de choses que de l’art. Une entreprise comme celle là n’est pas qu’un simple geste culturel : ça génère de l’économie, du tourisme, crée une vie de quartier, une communauté. Avec ce musée on éduque, on transmet, on partage, on rencontre ».

Belet Violette, Casacoli Lucie.

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